Shoot YSL & Heureuse Surprise {Pv. A. Winstead}

Quelle extrême satisfaction que celle de Calvin, lorsqu’on lui annonça par téléphone qu’il avait été retenu pour un photoshoot de la nouvelle collection du très admiré et admirable Yves Saint Laurent, une des icônes de la mode françaises les plus célèbres du monde ! Le summum de ce petit coup de fil inopiné, avait été lorsque l’assistant personnel du styliste le lui avait passé en personne, et le jeune parisien s’était vu félicité et vivement encouragé par le grand couturier français. Défaillant de plaisir et de joie, Calvin l’avait remercié avec modestie et simplicité, soulagé à l’idée que l’on ne vît pas son visage empourpré de bonheur et les stupides larmes qui lui étaient montées à ses yeux beaux yeux bleus. Mais c’était un honneur tel, que le jeune homme n’y croyait pas encore : comment, à dix-neuf ans, pouvait-il poser pour un des plus grands couturiers de la planète ? Non pas qu’il ne pensât ne pas mériter cette considération honorifique, car Calvin était sûr de lui et de ses irrésistibles attraits physiques. Mais cela allait être un argument de poids sur son book, et un signe de plus de la Providence qui semblait au fil des semaines acquiescer les ambitions du beau jeune homme.

On lui donna rendez-vous un samedi matin, et quand l’assistant lui demanda si cela lui posait quelque problème, Calvin jura ses grands dieux que mort ou vif, on le trouverait dans le studio de photographie de la Secret Talent’s School. Le voici donc, le visage rayonnant de joie, chantonnant gaiement tout en se dirigeant vers l’Ecole qu’il fréquentait à peine depuis une semaine, davantage en dansant qu’en marchant. De même que ces photos, le cachet serait salutaire au jeune homme, qui ne désirait pas retirer de l’argent à la banque, bien que son compte fût constitué d’une petite fortune, et le mît largement à l’abri du besoin, même s’il décidait de dépenser chaque jour sans compter. L’orgueilleux jeune homme voulait montrer à son père que si, on pouvait parfaitement vivre du mannequina, et que c’était là un argument certes pas suffisant pour refuser la formidable opportunité de reprendre la maison de couture Owen qui, aux dernières nouvelles, venait de fusionner avec Dior, mais conservait, Calvin ne savait comment et ne voulait pas le savoir, une certaine indépendance. Il n’avait pas l’étoffe d’un homme d’affaires, et souhaitait poursuivre la voie pour laquelle il avait été destiné, le mannequina. C’était aussi simple que cela, et pourtant, Silver Owen avait le don de compliquer horriblement les choses.

L’assistant en question s’appelait Marc Palati, et Dieu merci, était français ! Calvin, même en ayant vécu avec un père qui persistait à lui parler toujours en un anglais malmené par un rude accent écossais, était soulagé de pouvoir reparler librement dans sa langue natale, bien que ce fût pour échanger des banalités d’ordre professionnel. Pourtant, il avait bien eu l’occasion de discuter un peu avec April Wells, une de ses jolies colocataires – et de nouveau, Calvin remercia le ciel, bien qu’il ne crût guère et que Dieu fût pour lui une figure totalement abstraite – qui parlait joliment le français, et le jeune parisien s’était fait la réflexion qu’il ne lui déplairait pas d’enseigner les plus profondes subtilités de la langue française à la jolie blonde, mais son respect était bien trop grand pour qu’il tentât quoique ce fût de répréhensible, et qui put lui attirer ses foudres.

A la grande surprise de Calvin, mais aussi à son plus grand plaisir, il était le seul modèle. Autour de lui fourmillaient des photographes, des habilleuses et des maquilleuses, et le jeune homme fut littéralement pris d’assaut par une maquilleuse qui le prit par la main et l’installa sur un tabouret devant un miroir éclairé par une guirlande de petites lampes, attitude cavalière qui le fit rougir et la fit rire joyeusement. Il n’y avait pas grand-chose à faire d’autre que de se laisser pomponner par la coiffeuse et la maquilleuse, qui après lui avoir passé sur le visage de l’eau de bleuet et massé délicatement sa peau diaphane avec de la crème hydratante, la chatouilla avec de la poudre matifiante, et lui tapoter l’épaule avec un sourire malicieux pour lui signifier qu’il avait à présent à s’habiller.

Une nuée de stylistes l’entoura bientôt, et Calvin reconnut parmi elle quelques étudiantes de la Secret Talent’s School, mais aucune ne retint son beau regard bleu, qui se fixa sur la première tenue qu’il aurait à porter, une veste mi-longue et un pantalon cintrés de flanelle noire accompagnés d’une paire de chaussures en cuir brun assez simple. En moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, Calvin s’était changé, et une couturière effectuait quelques retouches au niveau des cuisses, le jeune homme ayant de longues jambes élancées mais trop fines pour la taille qu’on lui avait donné, et il donnait l’impression de nager un peu dans son pantalon. Enfin, une jolie petite assistante vint nouer avec une lenteur parfaitement intentionnelle une écharpe de laine caramel autour de son cou fin, et il fut prêt à poser, son regard s’attardant discrètement mais sûrement sur la silhouette de la jeune fille, son sourire aux fossettes malicieuses aux lèvres. Le jeune homme monta sur le plateau légèrement surélevé, et qui était comme le fond uniformément d’une teinte blanche légèrement crème.

Prenant instinctivement la pose décontractée et naturelle que l’assistant allait lui demander à l’instant, Calvin appréhenda sa requête avec un fin sourire léger, et sa belle tête brune tournée de trois-quarts, l’envoûtant regard bleuté comme défiant les objectifs, il fut littéralement mitraillé par les photographes. Cela dura deux minutes, qui parurent des secondes à Calvin, et on fit une courte pause le temps qu'il enfilât une nouvelle tenue, dont la couleur seule et la texture changeait : un costume chocolat, avec un joli foulard en soie de couleur crème. Mais quand il s'apprêta à remonter sur l'estrade, son regard bleu qui balayait le vague avec un semblant d'ennui vint se poser sur la jeune femme qui discutait avec Marc Palati, qui semblait le chercher. En deux enjambées, Calvin les avait rejoint, et décochait un de ses plus beaux sourires à la ténébreuse brune aux mêmes yeux bleus qui se tenait en face de lui, avant de se pencher sur elle et de lui déposer sur les deux joues quatre bises enjouées. Le séduisant jeune homme passa une main dans ses cheveux laqués, et ses yeux rieurs ne quittèrent pas un instant Anna Winstead.

" - Quel plaisir de te revoir, Anna ! Ah, tu n'as pas changé, toujours aussi adorable ! Comment te portes-tu, et surtout, que fais-tu de beau ici ?... "

Le jeune homme eut un sourire malicieux, qui dispensait quiconque de penser à une vulgaire tactique de séduction : ce n'était vraiment pas le genre de Calvin, qui était beaucoup plus subtil que cela. Il était simplement d'une franchise désarmante, voilà tout, et son ton sincère montrait à quel point il était ravi de voir son amie.

Alors qu'Anna était en train de finaliser un de ses croquis pour son cours de stylisme, son téléphone se mit à sonner. Elle détestait être dérangée lorsqu'elle créait mais sa bonne humeur revint immédiatement quand elle vit que le numéro qui s'affichait était celui de Yves St Laurent. Elle se pressa de répondre à son mentor. La jeune femme était très heureuse de pouvoir enfin lui parler et lui raconter son arrivée à Secret Talent's. Cela faisait maintenant une semaine qu'elle y était et elle était littéralement sous le charme de l'école mais aussi de Londres. Lorsqu'elle eut finit son récit, YSL lui dévoila enfin l'objet de son appel. Il avait un shoot à Londres le samedi suivant et il aurait beaucoup aimé la voir. Anna accepta aussitôt, ne cherchant même pas à savoir si elle était libre ou pas. Elle le serait forcément. Il la prévint également qu'elle aurait droit à une petite surprise, un ami qui devait surement beaucoup lui manquer mais il ne lui en dit pas plus malgré qu'elle eut essayé par tous les moyens de savoir. Elle resta encore quelques minutes au téléphone puis raccrocha, ayant énormément hâte d'être au samedi suivant.

Les quelques jours qui suivirent l'appel de YSL, Anna trépignait d'impatience à l'idée de se rendre au shoot. Ses colocataires devaient surement la trouver insupportable elle et son excitation mais pas autant que le jour J. Elle se leva assez tôt pour avoir le temps de se préparer tranquillement et de choisir quelques unes de ses créations pour avoir l'avis de YSL. Elle descendit donc dans la cuisine pour prendre son petit déjeuner habituel composé d'un verre de jus d'orange fraichement pressée, d'un bol de chocolat chaud, d'un croissant et d'une compote. Une fois son petit déjeuner avalé en compagnie de deux de ses colocataires qui devaient se rendre en cours ce matin-là, Anna remonta à l'étage pour se prépara. Elle se lava, enfila une magnifique robe bleu-vert de sa création, cintrée par une ceinture gris légèrement argentée et accompagnée d'un sautoir et de ballerines ; puis elle se maquilla légèrement. Elle était sublime. La jeune créatrice chercha ensuite dans sa penderie deux ou trois de ses créations qu'elle pourrait montrer à YSL. Une fois les tenues choisies consciencieusement, Anna enfila une veste, prit se sac et quitta l'appartement. Elle héla un taxi et donna l'adresse de Secret Talent's où le shoot se déroulait.

Arrivée dans l'école, Anna alla vers le studio de photographie où elle tomba directement sur le styliste qui l'emmena dans un bureau adjacent. Installés dans un des canapés luxueux, ils purent discuter un petit moment avant qu'il ne soit appelé pour superviser le shoot. En sortant de la pièce, il lâcha le nom de Calvin Owen. Un grand sourire se dessina sur le visage de la jeune femme. Calvin était un de ses meilleurs amis à Paris. Quelqu'un en qui elle avait confiance, avec qui elle pouvait tout partager. Enfin quelqu'un avec qui elle n'aurait pas besoin de tisser des liens. Dans le studio, on parlait d'un superbe mannequin qui était à Secret Talent's. Anna ignorait totalement que son ami avait aussi été reçu. Cela faisait longtemps qu'ils avaient parlés, tous les deux occupés chacun de leur côté.

Une fois dans le studio même, elle le vit poser devant les flashs qui crépitaient tous les un à la suite des autres. Anna sourit à nouveau et demanda à une assistante qui passait à quelle heure se terminait le shoot pour qu'elle puisse parler avec le français mais elle n'eut pas besoin d'attendre, quelqu'un lui frappa sur l'épaule et en se retourna, elle se retrouva face à lui. Elle sourit à nouveau et encore plus intensément. Il se pencha vers elle pour lui faire l'éternelle bise mais elle lui sauta dans les bras. Elle était tellement heureuse de le revoir. Elle lui dit, plus qu'enthousiasme.

Calvin Owen. Je suis tellement contente de te revoir ! Ca fait si longtemps !

Les yeux du jeune homme étaient toujours aussi bleus et exprimaient toujours autant de choses. Il avait aussi l'air content de la revoir. Il lui demanda comment elle allait et pourquoi elle était à Londres. Elle lui répondit simplement.

Ca va très bien, encore plus depuis que je t'ai revu ! Je suis à Londres pour Secret Talent's ! Dire que je ne t'en avais même pas parlé ! Et toi ? Qu'est-ce que tu fais ici ?

Elle aurait voulu lui parler pendant des heures, rattraper tout le temps perdu mais le plaisir des retrouvailles fut de courte durée, on le rappelait pour la deuxième série de photos. Anna lui proposa alors.

Retourne devant les flashs et on se retrouve après pour boire un café. Ok ?

Elle savait à quel point il aimait le café et lui fit un clin d'œil en même temps pour lui montrer qu'elle n'avait pas oublier toutes ses petites habitudes qui lui donnaient beaucoup de charme. Il retourna à son shoot et Anna l'observa alors qu'il posait. Il avait encore cet air enfantin qui l'avait fait rire lors de leur rencontre, aussi à un shoot. On voyait qu'il aimait ce qu'il faisait et la jeune femme était heureuse qu'il puisse réaliser son rêve comme elle pouvait le faire elle aussi.

La séance photo prit fin, Calvin alla se changer et se démaquiller pendant que Anna disait au revoir au styliste que le jeune homme portait quelques minutes plus tôt. Ils descendirent les escaliers qui les menèrent dans le hall d'entrée puis ils sortirent dans les rues animées de Londres.

Ah, comme elle lui avait manqué ! Il se mit à rire aux larmes lorsque cette petite boule d’énergie lui sauta au cou, et ses bras entourèrent tendrement son amie dans une étreinte affectueuse qui, Calvin ne sut pas vraiment pourquoi, fit s’embuer stupidement ses beaux yeux, qu’il ferma pour ne pas que l’on vît son émotion. Le jeune homme maudissait sa sensibilité, qui était, selon une pensée typiquement masculine, un signe de faiblesse, une marque de féminité qui entachait sérieusement la virilité d’un homme. Il déposa dans les cheveux sombres d’Anna le baiser qu’un grand frère aurait donné à sa petite sœur adorée, et il s’écarta pour la regarder mieux.

Oh, comme elle avait changé ! Calvin eut un petit air à la fois surpris et admiratif, qui n’échappa certainement pas à la jeune fille, et après la fraction de secondes silencieuse où il n’avait pu s’empêcher de l’examiner avec une agréable surprise, il se mit inévitablement à rougir de son audace, qu’il jugeait déplacée. Où était passée la petite adolescente, à l’apparence si frêle, et qui donnait l’irrésistible envie de la serrer dans ses bras protecteurs ? Oh, bien évidemment cette impression subsistait toujours, mais c’était plus ténu, face au changement nouveau qui s’était opéré chez elle. Le jeune homme, pour mettre fin à son observation discrète, offrit à Anna son plus grand sourire, et lui répondit sur le même ton posé, mais son beau visage rayonnait de joie.

« - Longtemps ? Je ne te le fais pas dire ! Eh bien je suis également des cours à Secret Talent’s... Oooh, tu me pardonneras de n’avoir pas appelé l’amie qui m’est la plus chère au monde ?! »

Le séduisant jeune homme eut un sourire éclatant de candeur, accompagné d’une irrésistible petite moue innocente. Mais sa bouille d’ange se fendit bientôt d’un grand rire irrépressible, il ne pouvait garder son sérieux très longtemps lorsque l’excitation et l’émotion étaient trop fortes ; le rire était alors une échappatoire qui lui permettait alors de se débarrasser des tensions intérieures qui le titillaient. Depuis son arrivée à Londres, les retrouvailles avec d’anciennes connaissances – et certes pas des plus anodines ! – telles que Norah Hamphire, sans même parler de Sophia Walker, avaient le don d’hanter inexorablement son esprit déjà tourmenté par sa situation précaire : s’il avait un toit et un compte en banque qui lui garantissait une survie financière certaine dans les deux décennies à venir, Calvin n’osait pas penser à sa famille, qu’il avait quitté sans prévenir, partant avec son baluchon du jour au lendemain. Nourrissaient-ils de l’inquiétude, de la colère, de l’incompréhension pour l’héritier d’un empire financier et d’une vieille famille française dont il avait hérité la distinction et le charme, comme on n’en faisait plus à présent ? Probablement des trois… Mais Calvin refusait d’y penser, et il verrouilla son esprit aux souvenirs récurrents de sa famille.

Le jeune homme éclata de rire lorsqu’Anna le renvoya fermement à son shoot, qu’il avait d’ailleurs totalement oublié, tant son esprit avait été soudainement accaparé par sa vieille amie, et il lui rendit malicieusement son clin d’œil en guise d’accord tacite, signe qui voulait également dire qu’il avait compris l’allusion, et qu’il ne perdrait pas l’occasion de la taquiner lui aussi comme auparavant. Tout sourire, Calvin s’éloigna davantage en dansant qu’en marchant véritablement, l’âme soudainement légère, ses soucis envolés. Néanmoins, le jeune homme ne se pressa pas pour autant, même si l’envie le démangeait d’aller prendre un café bien fort. Enfin, un café ? C’était peu dire ! Par café, Calvin entend une pause café, durant laquelle, généralement, il pouvait parfaitement avaler jusqu’à cinq tasses, jusqu’à ce qu’il sente qu’il avait tellement de caféine dans le sang, qu’il se sentait électrique et risquait d’électrocuter la première personne qu’il toucherait.

Donc, malgré le désir puissant de rejoindre sa chère Anna, le perfectionnisme et la professionnalité du jeune homme le poussaient à travailler normalement, en ne tardant ni en se pressant. Il aimait les choses bien faites, et ces photographies là n’étaient pas n’importe quelles choses : elles constitueraient une arme de poids dans son book, et lui assurerait une prise d’autant plus puissante et influente dans le monde de la mode, et notamment du mannequina, qu’il avait, grâce à sa famille, des relations de qualité, et qui pourraient également lui ouvrir de nombreuses portes. Le goût chic mais sans fioritures d’Yves Saint Laurent convenait à la perfection à la silhouette longiligne et filiforme de Calvin, à qui la sobriété élégante et classique de la nouvelle collection homme était comme une deuxième peau. Quant au jeune français, il se plaisait à jouer avec les objectifs avec cette feinte innocence légèrement empreinte d’une insolence enfantine et d’un mépris exquis, cette expression propre à lui-même, et que l’on recherchait tant : Calvin Owen aurait de nombreuses heures de gloire, s’il continuait ainsi.

Puis, enfin, le styliste, avec un sourire aussi rare que chaleureux, fit part de sa grande satisfaction au jeune mannequin, qui se vit vivement félicité et encouragé. Rougissant légèrement sous les compliments, il tenta ensuite de se défaire de l’assistant le plus rapidement possible, mais sans le brusquer et paraître discourtois, ce qu’il parvînt au bout d’une dizaine de minutes, durant laquelle il adressait des petits coups d’oeils malicieux à Anna, qu’il rejoignit enfin après avoir passé entre diverses mains – stylistes, maquilleuse, coiffeuse… Cette seconde lui avait donné son numéro de téléphone, à grand renfort de « mon chou » et « mon p’tit gars » qui avaient fait rougir de honte Calvin, qui gardait un côté malgré tout un côté assez vieille France – merci Papi et Mamie Saint-Béryl -, et il se voyait gêné par de telles marques de familiarité par une inconnue.

Ce fut presque en courant, les pommettes rosissantes et sa délicate mine d’homme arborant un petit air perplexe, que Calvin se rendit auprès d’Anna, et poussa un profond soupir de soulagement. L’euphorie de la première minute sous les flashs était passée, et il ne subsistait plus maintenant qu’une agréable sensation d’avoir accompli un travail impeccable. Ainsi, bien évidemment, que l’envie d’ouvrir le premier café venu, et de s’y engouffrer avec son amie pour partager des nouvelles fraîches et profiter de sa compagnie charmante et rafraîchissante. Westminster sonnait les douze coups de midi, et c’était donc l’heure de pointe dans les rues londoniennes. Ne souhaitant pas perdre dans la foule sa précieuse amie, le jeune homme passa doucement son bras sous celui d’Anna, et l’entraîna lentement mais certainement parmi les passants, qui ne pouvaient s’empêcher de jeter un bref coup d’œil à ces jeunes gens, tous deux de grande taille, et caractérisés par cette inexplicable élégance typiquement française, et qui imprimait tous leurs mouvements. A peine sortis dans la rue, que Calvin demanda sur un ton allègre :

« - Y a-t-il un endroit que tu apprécies particulièrement ? Car pour ma part, je suis arrivé il y a très peu de temps, mais je me suis promis de visiter tout ce que Londres comptait de cafés et de salons de thé ! »

Il eut un sourire amusé, et déclara avec une voix désarmante de sincérité, qui survenait généralement de façon inopinée, fidèlement au tempérament imprévisible du séduisant français, qui pouvait aussi bien user de subtilité que de franchise inattendue :

« - En tout cas, je te félicite de ta tenue, tu es ravissante. Sobriété sans austérité, un petit côté rétro que t’envierait une actrice des années 40 : ce ne peut être qu’une de tes créations… Je me trompe ? Après tout, je t’avoue que te revoir à Secret Talent’s ne me surprend guère, bien au contraire, et ce n’est pas parce que tu es la pupille préférée d’un couturier parmi les plus géniaux que je te dis tout cela, mais seulement parce que tu as un don indéniable pour la création, cela crève les yeux. »

C'était plus fort que lui, il ne pouvait s'empêcher de faire part de ses commentaires, en particulier s'il s'agissait de mode. Habitude héritée de son père, styliste de son état, et qui avait donc spécialement enseigné ce qu'était le bon goût, et ce qui ne l'était pas. Calvin quitta son ton qui avait tendance à devenir bien trop solennel, et prenant comiquement un air mystificateur, le malicieux jeune homme mima un geste prophétique, et dit avec une pose théâtrale :

« Ôôôô Anna Winstead ! Vous défierez et déferez tous vos concurrents, et deviendrez une icône internationale dans le monde de la mode. A la seule condition de prendre l’humble Calvin Owen pour un modèle absolu… »

Le rire curieusement distingué et contagieux du jeune français se fit entendre, et certaines personnes le regardèrent avec un petit air éberlué mais amusé. Ce rire d’un autre âge, comme celui qui l’émettait, était notamment la cible de petites taquineries des amis de Calvin, qui le surnommaient le « comte de Saint-Béryl », ce qui les faisait rire aux larmes.

Anna était si bien dans les bras de Calvin. La joie de le revoir s'ajoutait au soulagement de savoir que tout serait plus simple maintenant qu'il était avec elle. Elle pourrait à nouveau lui expliquer dans les moindres détails ce qui lui arrivait autour d'un café. Elle pourrait rire aux éclats de sa théâtralité. Elle pourrait refaire le monde pendant des heures et des heures sans pouvoir s'arrêter. Calvin était à Secret Talent's et ils partaient à l'aventure ensemble, une fois de plus.

« - Bien sur que je te pardonne si c'est pour avoir une si agréable surprise ! »

Calvin n'avait pas tellement changé. Elle le considérait toujours comme son grand frère qu'elle n'avait jamais eu et il était toujours aussi protecteur. Son visage trahissait toujours ce qu'il essayait de cacher en vain et ses yeux n'avaient pas perdu la vivacité d'autrefois. Ses joues, qui avaient rosit avec l'excitation de la ravoir, dévoilaient deux petites fossettes du à son sourire. Le beau français avait une telle prestance que Anna n'était nullement étonnée qu'il soit si doué dans le mannequina. Elle le renvoya d'ailleurs à son shoot, lui promettant de l'attendre.

Alors qu'il posait, Anna repensa aux journées qu'elle avait passé dans les studios de photographie, exactement comme cette matinée. Seule la situation avait changé. Ils jouaient maintenant leur avenir et leur réussite. Tout cela était très excitant, certes, mais aussi terrifiant en un sens. Avec un faible mouvement de tête, Anna laissa ses pensées dans un coin de son esprit et se concentra sur la frénésie du studio.

Toutes les attentions étaient tournées vers son ami. Entre les retouches de maquillage entre deux prises, le soin apporté pour qu'il n'y ait pas le moindre pli sur les vêtements qu'il portait et un tas d'autres détails qui font que les photos sont réussies ou non.

Le mentor d'Anna vint vers elle pour lui parler un peu sans pour autant que son attention pour le shoot ne soit ébranlée. Il lui posa tout un tas de questions sur son arrivée à Secret Talent's et sur ce qu'elle avait fait pour le moment. Elle lui répondait et, comme lors de chaque shoot auquel elle assistait, il réagissait avec intérêt à ce qu'elle disait.

La séance photo prit fin, Calvin rejoignit Anna après s'être changé et démaquillé. Ils saluèrent Yves St Laurent puis sortirent. On entendait les douze coups de Big Ben au loin. Il y avait foule dans les rues mais les deux jeunes parisiens pouvaient se frayer un chemin grâce à l'allure qu'ils avaient et qui imposait le respect aux piétons. Anna observait autour d'elle pour trouver un café qui avait l'air sympa. Elle en vit un dont la décoration était design et qui proposait quelques tables isolées du reste de la salle.

« - Je n'en doute pas ! Que dirais-tu d'entrer ici ? »

Anna poussa la porte du café et entra. La chaleur de l'endroit lui fit du bien, n'en pouvant plus de ce gel permanent des rues de Londres. Elle se dirigea vers une table libre suivie de Calvin puis elle s'assit. Un serveur vint aussitôt vers eux et connaissant par cœur les gouts de son ami, elle commanda un café serré pour lui et un chocolat pour elle.

« - Tu ne te trompes décidément jamais en ce qui concerne mes tenues. Tu dois trop me connaître pour ça ! Je te remercie pour les compliments mais fait quand même attention à ce que tu dis, je ne sais pas si tu comprendra lorsque mon égo deviendra aussi surdimensionné que le tien. »

Elle se mit à rire doucement, ses yeux pétillant montrant qu'elle le taquinait doucement. Les bonnes vieilles habitudes étaient ré-apparues aussitôt et Anna se rendit compte qu'elles lui avaient manqué ces habitudes. Leur commande arriva et elle s'empressa de boire une gorgée de sa boisson pour se réchauffer.

« - Calvin Owen pour modèle absolu ? Mais c'est plus qu'un honneur ce que vous me faite là ! Je ne saurais refuser ! »

Ils riaient aux larmes, attirant l'attention des personnes du bar qui les trouvaient tellement frais et naturels qu'ils ne pouvaient en être irrités. Leurs rires se mêlaient aux sourires des clients et la bonne humeur régnait.

Du haut de sa grande taille, Calvin contemplait du coin de l’œil la jeune femme avec un mince sourire méditatif. Ils s’étaient rencontrés lors d’un shoot, et il fallait qu’ils se retrouvent également dans un studio de photographie. Les circonstances étaient les mêmes, et c’était comme un deuxième départ. Sauf que ce n’était pas le commencement d’une amitié nouvelle, mais sa continuité, qui s’en trouverait obligatoirement renforcée. Dans l’esprit de Calvin, Paris constituait le point de départ de leur parcours à tous deux, bien qu’ils n’eussent pas les mêmes passions. Néanmoins, les deux jeunes parisiens nourrissaient les mêmes ambitions, les mêmes rêves, un but unique : la réussite, bon gré mal gré, la renommée et la reconnaissance de leurs talents. Et l’argent ? Oh, l’argent ne semblait pas être la motivation principale de Calvin et Anna. En effet, pour sa part, le jeune homme disposait d’un solide compte en banque, et il pouvait parfaitement choisir de se proclamer officiellement « oisif » pour la vie sans remuer le petit doigt.

Ensuite, après Paris venait Londres. Londres la brumeuse, Londres la mystérieuse. Cette fois, la ville, et à plus forte raison l’école de Secret Talents, symbolisaient le début de leur carrière professionnelle. Cela paraissait si sérieux, que c’en était presque effrayant ! Calvin, bien qu’habitué aux studios de photographie depuis sa plus tendre adolescence, ressentait une légère angoisse qui, même si elle restait négligeable, était toujours présente avec lui, partout où il allait, comme une ombre menaçante qui semblait lui souffler tout ce qu’il devait ou ne devait pas faire. Quelle attitude adopter, que dire, que choisir… Ou peut-être était-ce seulement son instinct naturel, qui, bousculé par la gravité soudaine de la situation, se mettait brusquement en branle, et tourmentait le jeune homme dans un souci constant de perfection. Ce n’était plus la tranquillité parisienne, avec un père qui s’occupait de vous – certes comme un objet, mais c’était tout de même bien commode. Le charmant jeune homme n’avait à se soucier de rien, seulement d’être attrayant, captivant, ce qui, avec son physique de beau brun ténébreux aux yeux azur, n’était guère difficile. Mais à présent, Calvin était dans la cour des grands, allait côtoyer des personnes de son âge qui se battrait sans pitié pour la place qu’il briguait lui aussi, le sommet des podiums.

Un instant perdu dans ses pensées, Calvin revint sur Terre seulement lorsqu’Anna lui désigna un café, et il acquiesça silencieusement d’un bref mouvement de la tête. Le jeune homme y suivit son amie, tout en se tançant de se braquer en permanence sur son avenir. Oh, n’était-il pas venu en Angleterre pour vivre comme il l’entendait, au jour le jour et sans être importuner par quiconque, son père en premier lieu ? Alors qu’il cesse d’y penser jour et nuit, dès que son esprit vagabond commencer à divaguer loin de son quotidien, qui pourtant était fort mouvementé… Et puis, il fallait profiter à fond de la compagnie d’Anna, son inséparable moitié spirituelle ! Il était absolument hors de question pour ses parents d’agrandir la fratrie Owen, le jeune homme se voyait toujours répondre avec une exécrable onctuosité qu’il suffisait amplement et même davantage à ce qu’attendait sa famille. Alors en tant que fils unique désespéré de l’être, Calvin avait décidé de se chercher une tierce personne, qui ferait office de frère ou de sœur. Et il avait craqué sur Anna dès qu’il l’avait vue : c’était ELLE ! Elle qui était toute choisie pour devenir sa petite sœur attitrée, avec leurs attraits physiques similaires, leurs grands yeux bleus, leur haute taille, leur teint délicat et pâle, sans oublier leur chevelure sombre, ce qui avaient véritablement conduit certaines personnes à penser qu’ils étaient réellement frère et soeur. Et ils s’étaient parfois plu à jouer ce rôle… Le courant sembla passer aussitôt entre eux deux, et un quart après s’être rencontrés pour la première fois, ç’avait été comme s’ils se connaissaient depuis des années. Et puis, voilà de nouveau Calvin et Anna ensemble, bel et bien partis pour de nouvelles aventures fracassantes !

Ils s’assirent à une table située vers le fond du bar, à l’écart de l’agitation qui régnait autour d’eux, puisque le coup de feu de midi commençait. Ils prirent d’assaut les banquettes, et Calvin approuva silencieusement de la tête l’endroit, appréciant les plantes vertes qui semblaient constituer une barrière végétale entre eux et autrui. Le décor était sobre, mais lumineux et contemporain. Le jeune homme eut à peine le temps d’ouvrir la bouche, que déjà la réponse d’Anna fusait. Il se sentit stupide, la bouche légèrement entrouverte, les sourcils froncés et le regard vague, ahuri d’avoir été pris de court si vite. Il referma ses lèvres délicates, les pinça et arbora une expression boudeuse.

« - Décidément, à ce niveau-là, ce n’est même plus de la complicité, c’est de la télépathie ! Je ne pensais pas être aussi prévisible ! Mais je t’en remercie, très chère… »

Son air faussement dépité s’effaça bien vite, et fit place à une mine offusquée. Il leva ses longues mains, d’une telle finesse qu’on aurait cru celles d’une femme, en un geste qui se voulait distingué et mondain, comme le faisait ces gens qui voulaient se donner un genre chic, mais qui ne réussissaient qu’à être ridicules. Calvin plaisantait beaucoup en caricaturant à outrance autrui, par le biais d’un jeu de mime de leurs manières, bien entendu poussé à l’extrême pour ce que fût réellement amusant, ce qui ne manquait jamais. Qui aurait pu deviner que ce beau garçon, en apparence si sérieux et si froid, possédait un tel sens de l’humour ? Peut-être particulier, certes, mais bel et bien présent, si bien qu’il ressortait généralement dans tout ce qu’il disait, dans tout ce qu’il faisait.

Le jeune homme, avec son air pincé et coincé, les mains portées à son visage séduisant, comme rougissant sous la petite pique malicieuse, poussa un cri que lui aurait envié sa grand-mère, que connaissait parfaitement Anna, Calvin l’ayant présentée fièrement à toute sa famille. Sa mère-grand, terreur familiale, et qui ne s’en laissait pas compter, même par son petit-fils, qu’elle adorait et avec qui elle devenait cependant complètement gâteuse parfois. Elle appréciait beaucoup Anna, et n’hésitait pas à comparer la brunette aux fréquentations féminines du jeune homme, ne dissimulant pas son regret qu’elle ne soit qu’uniquement sa meilleure amie… Enfin, la grand-mère de Calvin vivait dans un autre monde, dont Calvin avait hérité son côté vieille France, qui était poussé à l’extrême chez elle, ce qui faisait mourir de rire le jeune homme avec toutes ses petites manières de duchesse, du rire à la façon de boire sa tasse de thé. Il dit d'un ton suraigu, près d'éclater les tympans des gens à douze kilomètres à la ronde :

« - Oh ! Oh ! Comment oses-tu, Anne ?! Tu m’offenses gravement, jeune fille ! Un égo surdimensionné… quelle abeeerraaatiooon ! »

Impossible d’ancrer dans la tête butée de sa vieille grand-mère, que ce n’était pas Anne, mais Anna… Mais chez les Saint-Béryl, tout était français, rien que le nom portait une connotation équivoque. Changement radical sur le visage pâle de Calvin, qui se détendit soudainement, et son rire atypique et joyeux se joignit à celui de son amie, qu’il contemplait avec tendresse. Comment avait-il pu vivre sans ce sourire irrésistible, son adorable petit nez qui se fronçait de façon si mignonne lorsqu’elle riait… Le jeune français nourrissait presque une adoration paternelle envers Anna, en plus de son affection fraternelle débordante. Le serveur leur apporta dans le même temps leurs commandes, et Calvin s’empressa de le retenir :

« - S’il vous plaît, la carte de la maison, jeune homme. »

Il était presque comique de voir le jeune homme s’adresser à un autre, qui devait probablement avoir le même âge. Qu’il soit dans un restaurant chic ou un bar de bas étage, Calvin gardait sa politesse délicate et sans fioritures futiles, qui semblait là complètement décalée. Son bel air de gentilhomme modèle vola en éclat, lorsqu’ils éclatèrent de rire sans retenue aucune, et il ne put qu’hoqueter un début de réponse, entreprise désastreuse qu’il abandonna afin de mieux se tenir les côtes. Un petit moment de silence se fit dans le café, tandis que les deux compères ne parvenaient pas à arrêter leur interminable fou rire. Enfin, Calvin releva sa belle tête brune, sa coiffure encore plus en bataille que d’habitude, et adressa aux gens aux alentours ce sourire éclatant et enfantin qui faisait passer toutes ses bêtises. Le serveur revint, et leur tendit deux menus.

« - Aaaah, Anna… Mon Dieu, qu’est-ce que tu m’as manqué ! Ca fait vraiment un bien fou de te retrouver, sans rire ! Allez petite princesse, choisis tout ce que tu as envie, c’est ton frangin qui régale ! »

Un petit clin d’œil malicieux, et Calvin disparaissait derrière la carte.

» Anna Winstead